Vivre avec le diabète de type 1 (DT1) est un travail à temps plein. La glycémie, l’alimentation, l’activité physique, l’insuline… tout demande une vigilance constante qui peut vite devenir épuisante. Ajouter à cela une dose de perfectionnisme peut transformer la gestion quotidienne du DT1 en véritable surcharge.
Les données chiffrées comme celles de la glycémie, du temps dans la cible ou de l’HbA1c (hémoglobine glyquée), sont des outils précieux pour gérer le diabète et évaluer l’impact de ses actions. Il y a vingt ans, une grande étude menée auprès de personnes vivant avec le DT1- le Diabetes Control and Complications Trial (DCCT) – a montré que le fait de maintenir la glycémie proche des valeurs cibles permettait de réduire significativement le risque de complications touchant les yeux, les reins, les nerfs et le cœur. Ces résultats ont ouvert l’espoir d’un futur en santé, mais pas forcément plus serein pour les personnes vivant avec le DT1.
Avec l’évolution des traitements et des technologies, les données sont aujourd’hui plus nombreuses que jamais. Les graphiques, les alarmes, les flèches de tendance facilitent le suivi mais demandent aussi de traiter une grande quantité d’informations et de prendre des décisions en permanence. Pour certains, la prise en compte de toutes ces données au quotidien peut devenir épuisante et mener à de l’hypervigilance.
De plus, et même lorsque l’on dispose de tous ces outils, il reste toujours une part d’imprévisible: panne de capteurs, cathéters obstrués, mais aussi hormones, stress, maladie, émotions, température extérieure… autant de facteurs influençant la glycémie sur lesquels nous avons peu, voire pas du tout de contrôle. La volonté de réussir à tout maîtriser et anticiper peut alors devenir un véritable piège.
Le perfectionnisme, c’est quoi ?
Le perfectionnisme ce n’est pas seulement vouloir être le meilleur ou la meilleure. C’est surtout la croyance que si l’on fait tout parfaitement, on pourra éviter la culpabilité, le jugement ou la honte par exemple.
Quand on est perfectionniste, on se fixe souvent des objectifs très élevés et rigides. Cela s’accompagne généralement de raisonnements en termes de «tout ou rien» : soit c’est parfait, soit c’est un échec. Il n’y a pas de place pour la nuance. Même les petits succès peuvent sembler insuffisants, et chaque erreur peut provoquer frustration, découragement ou auto-jugement sévère.
Le perfectionnisme ne concerne pas seulement ce que l’on attend de soi-même. Il peut aussi se manifester dans les attentes que l’on place vis-à-vis des autres (p.ex. famille, proches, équipe de soin, société en général), ou dans ce que l’on croit que les autres (p.ex. entourage, société) attendent de nous. On peut alors avoir l’impression de ne jamais en faire assez et de ne jamais avoir droit à l’erreur ou à la fatigue.
Perfectionnisme et diabète : un duo risqué
Dans le contexte du DT1, le perfectionnisme implique l’idée qu’il faudrait être « parfait » pour être une personne responsable et éviter les complications. Chaque excursion de la glycémie hors de la cible visée est alors vécue comme un échec personnel, générant frustration, culpabilité et détresse.
Les perfectionnisme peut se manifester sous 2 formes différentes mais qui sont en réalité les deux faces d’une même pièce:
- L’hypercontrôle – Chaque aspect de la gestion du diabète peut être vécu comme une épreuve permanente : vérifications répétées de la glycémie par crainte qu’elle n’évolue pas comme prévu, comptage minutieux des glucides, limitation ou contrôle excessif de l’activité physique en raison de ses effets sur la glycémie, et interventions de correction fréquentes (micro bolus d’insuline, petites collations) pour contrer les moindres variations. Cette vigilance constante place la personne dans un état d’anticipation et d’appréhension face à tout ce qui pourrait représenter un risque. Peu à peu, certaines en viennent à éviter les activités sociales (p.ex. sorties, repas entre amis, excursions) par peur de perdre le «contrôle» sur la gestion de leur diabète. Ce retrait peut alors favoriser l’isolement et compliquer les relations avec les proches.
- L’évitement – À l’inverse, et souvent après une période d’efforts intensifs pour respecter des exigences trop strictes – parfois impossibles à tenir sur le long terme -, certaines personnes basculent dans une forme d’évitement. Le sentiment de mal faire ou de ne pas être à la hauteur devient alors source de détresse et de découragement. Pour soulager cette pression, on peut en venir à repousser ou ignorer tout ou partie des tâches liées à la gestion du diabète : ne plus vérifier sa glycémie, omettre des bolus ou des injections d’insuline, cesser de compter les glucides ou de suivre certaines recommandations. Par peur du jugement, les rendez-vous médicaux sont parfois différés, et les questions de l’entourage peuvent être perçues comme intrusives. Ces comportements, souvent empreints de culpabilité, entraînent frustration, souffrance et sentiment de solitude. Ils renforcent l’anxiété et l’impuissance, privant la personne de motivation et enfermant dans un cercle difficile à briser.
Dans les deux cas, le perfectionnisme complique la gestion quotidienne du diabète, alourdit la charge émotionnelle et augmente le risque d’épuisement ou de stress chronique. Il peut également contribuer à l’émergence de difficultés psychologiques telles que l’anxiété, une baisse de l’estime de soi ou des troubles des conduites alimentaires.
Certaines recherches suggèrent également que le perfectionnisme «d’hypercontrôle», pourrait augmenter le risque de perception altérée de l’hypoglycémie (ne pas ressentir les symptômes en cas de glycémie basse), en raison des comportements mis en place pour éviter l’hyperglycémie (p.ex. donner très fréquemment des bolus d’insuline pour corriger la glycémie) au détriment de la prévention des hypoglycémies. À l’inverse, le perfectionnisme «d’évitement» augmente probablement le risque d’hyperglycémie sévère comme l’acidocétose.
Stratégies pour gérer le DT1 sans tomber dans le piège du perfectionnisme
Pour ne pas laisser le perfectionnisme transformer la gestion quotidienne en surcharge cognitive et émotionnelle, voici quelques pistes concrètes :
1. Pratiquer l’autocompassion
Certaines journées sont plus difficiles que d’autres, et c’est normal. Reconnaître ses efforts, même lorsque les résultats ne sont pas parfaits, aide à réduire le stress et la fatigue émotionnelle. Parfois, simplement réussir à traverser sa journée est déjà une victoire. La gestion du diabète est un marathon, et parfois une course d’obstacles, qui demande adaptabilité et patience. Il est aussi légitime d’avoir, à certains moments, d’autres priorités que sa glycémie. Si une discipline stricte rassure certaines personnes, elle ne convient pas à tous. L’important est d’aspirer à faire de son mieux, d’accepter les erreurs et les imprévus : vivre avec le DT1 demande beaucoup d’humilité.
2. Remettre les chiffres à leur place
Les données comme la glycémie, l’hémoglobine glyquée ou le temps dans la cible sont des outils pour orienter les décisions, pas des indicateurs de valeur personnelle. Ce ne sont pas des notes d’examen : comme la jauge d’essence d’une voiture, elles indiquent simplement un état à un moment donné.
3. Prioriser le progrès plutôt que la perfection
Mieux vaut viser des ajustements réalistes et progressifs, faciles à intégrer dans la vie quotidienne. Chaque petit pas compte. Une bonne gestion du diabète n’est pas une fin en soi, mais un moyen de vivre pleinement, de réaliser ses projets, d’être fidèle à ses valeurs, et présent pour ceux qu’on aime. En période de découragement, se punir ou se dévaloriser ne fait qu’aggraver le sentiment d’échec. Faire preuve de bienveillance envers soi-même aide bien davantage à retrouver motivation et confiance.
4. Partager ses ressentis
Exprimer ce qu’on vit à un ou un professionnel de la santé, à un proche ou à d’autres personnes vivant avec le diabète de type 1 permet de réduire l’isolement et de se sentir compris. L’humour peut aussi aider à prendre du recul et à relâcher la pression. Si la tristesse, la fatigue émotionnelle ou le découragement persistent, il est important d’en parler à un professionnel de santé.
5. Intégrer des techniques de relaxation et de pleine conscience
La méditation, la respiration profonde, le yoga ou la marche consciente peuvent aider à diminuer le stress lié au besoin de tout contrôler. Ces pauses favorisent une reconnexion avec le corps et les sensations sans jugement.
6. Se rappeler que le DT1 n’est qu’une partie de l’identité
Le DT1 ne définit pas une personne dans son ensemble. Il est important de faire de la place pour des activités qui apportent plaisir, détente et sentiment d’accomplissement en dehors du diabète, qu’il s’agisse d’un hobby, d’une activité sociale ou simplement de repos. S’épanouir et se réaliser ne passent pas uniquement par une gestion parfaite du diabète, mais aussi par tout ce qui nourrit la curiosité, la créativité et les relations humaines. Prendre soin de soi, c’est faire de la place à tout ce qui donne du sens et de la joie à la vie, et ne pas laisser le diabète occuper tout l’espace.
7. Rechercher la présence et le soutien des pairs
Lorsque les efforts individuels ne semblent pas donner les résultats espérés, il est facile de se sentir isolé ou incompris. Échanger avec d’autres personnes vivant elles aussi avec le DT1 peut aider à normaliser ses expériences, à découvrir de nouvelles stratégies et à se sentir moins seul face aux défis quotidiens. Les groupes de soutien, les associations, ou encore les communautés en ligne et les médias sociaux peuvent offrir un espace d’écoute, de partage et de solidarité. S’ouvrir à d’autres réalités permet souvent de relativiser, de reprendre confiance et de retrouver un sentiment d’appartenance à une communauté qui comprend réellement ce que l’on vit.
| Professionnels de santé et perfectionnisme : vers un soutien qui rassure |
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| Les professionnel·le·s de santé jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement des personnes vivant avec le DT1. Cependant, même avec les meilleures intentions il arrive parfois que la manière d’aborder les objectifs de gestion du diabète, les chiffres et les risques associés contribue, à renforcer voire accroître la pression et le sentiment de devoir être parfait·e. La gestion du DT1 ne se résume pas à atteindre une HbA1c inférieure à 7%, un temps dans la cible supérieur à 70%, ou un temps en hypoglycémie inférieur à 4%, sans hypoglycémie sévère ni acidocétose. Ces indicateurs sont importants mais ils sont exigeants, et surtout, ils ne reflètent pas à eux seuls la santé physique, la santé mentale, ni le bien-être ou la qualité de vie de la personne. Trop souvent, la santé mentale, la fatigue émotionnelle ou le stress liés au DT1 sont sous-estimés, alors qu’ils influencent directement le quotidien. Une approche trop directive ou « froidement médicale » peut générer plus de peur et de culpabilité que de soutien, et alimenter le désir de tout faire parfaitement, par crainte de décevoir ou d’échouer. Une phrase telle que «votre diabète est mal équilibré » n’a jamais aidé personne à mieux gérer sa glycémie. Ce qui compte, c’est l’aide offerte pour progresser vers un objectif significatif, à un rythme réaliste. Pour un accompagnement efficace, il est donc essentiel de repenser le sens de la relation thérapeutique : soutenir sans juger, encourager, valider les efforts et respecter le rythme de la personne. Fixer ensemble des objectifs réalistes, reconnaître les progrès, et identifier les excès de perfectionnisme permet de prévenir l’épuisement. Il est également essentiel de distinguer ce qui relève d’une gestion optimale de la maladie de ce qui relève d’une surcharge : discuter des priorités et des objectifs personnalisés plutôt que d’imposer des standards rigides. Si vous vivez avec le DT1 et que la relation avec votre équipe de soins ne vous convient pas, parlez-en. Exprimer respectueusement ses insatisfactions peut permettre de repartir sur de meilleures bases et de mettre au jour des incompréhensions. Dans certains cas, il peut aussi être nécessaire de chercher un autre professionnel, quelqu’un dont l’approche correspond davantage à votre style et à vos besoins. Le bon accompagnement peut faire la différence entre ressentir de la pression et se sentir véritablement soutenu. Un accompagnement bienveillant, c’est celui où les professionnels de santé écoutent vos besoins, vos préoccupations, et les prennent en compte; expliquent clairement les options et les résultats, adaptent leurs conseils à votre rythme et à vos objectifs personnels; et surtout, reconnaissent vos efforts et votre engagement. |
Pour résumer, le perfectionnisme dans le DT1 est courant et compréhensible, mais il peut peser lourd sur le bien-être. Apprendre à lâcher prise, accepter l’imperfection et adopter des stratégies adaptées permet de vivre plus sereinement avec le diabète.
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Pour aller plus loin
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Conscient de l’importance de chaque vécu, le registre BETTER collecte les témoignages de personnes vivant avec le diabète de type 1 au Canada, ainsi que ceux de parents d’enfants concernés. Votre contribution permet d’enrichir la recherche et, en vous inscrivant, vous bénéficierez également d’un accès à des webinaires portant sur divers aspects du diabète de type 1.
Références
- Skelley, Alexis & Spjut, Kersti. The Dangers of Perfectionism in Diabetes. YouTube, 2025. https://www.youtube.com/watch?v=nhvY9dSMSVs
- Ruiz-Aranda, Desireé, et al. “Sociocultural Attitudes Toward Appearance and Attitudes Toward Eating in Adolescents With Type 1 Diabetes: The Importance of Perfectionism.” Pediatric Diabetes, vol. 2025, article 9993342, 31 Jan. 2025. doi:10.1155/pedi/9993342
- Naito, Anna, et al. “Personality Traits of Alexithymia and Perfectionism in Impaired Awareness of Hypoglycemia in Adults With Type 1 Diabetes – An Exploratory Study.” Journal of Psychosomatic Research, vol. 150, 2021, p. 110634. doi:10.1016/j.jpsychores.2021.110634
- Beyond Type 1. The Danger of Perfectionism in Diabetes Management. 2025.
- Brown, A. (2017). Bright Spots & Landmines: The Diabetes Guide I Wish Someone Had Handed Me. The diaTribe Foundation. https://diatribe.org/bright-spots-and-landmines/
Écrit par : Sarah Haag, infirmière clinicienne, B.Sc.
Révisé par :
- Rémi Rabasa-Lhoret, M.D., Ph. D.
- Anne-Sophie Brazeau, Dt. P., Ph. D.
- Amélie Roy-Fleming, Dt. P., EAD, M.Sc.
- Jacques pelletier, Claude Laforest, Michel Dostie, Jade Maria Moisan, Amélie Eloundou, Aude Bandini, patients partenaires du projet BETTER



